Entrevue :André Marcheterre, Jean-Marie Toulouse, Rémi Tremblay

Entrevue :

André Marcheterre, président de Merck Frost Canada ; Jean-Marie Toulouse, directeur de l’École des Hautes études commerciales de Montréal et Rémi Tremblay, président- directeur général et fondateur d’Adecco Québec. Propos recueillis par Aurélie Deléglise Les présidents des quatre plus grandes entreprises canadiennes dont le siège social est au Québec, John Weaver de l’Abitibi Consolidated Inc., Robert Milton d’Air Canada, Hunter Harrison de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et Travis Engen d’Alcan sont américains. Si les conseils d’administration de ces compagnies ont nommé des Américains à ces postes clés, c’est parce que cela rassurait les investisseurs ou parce qu’il n’y avait personne au Québec pour remplir cette fonction ? C’est ainsi que Diane Bédard, rédactrice en chef de la revue Commerce, a introduit le débat sur la relève au Québec organisé par la Jeune Chambre de Commerce de Montréal. Ce débat réunissait autour d’une même table André Marcheterre, Jean-Marie Toulouse et Rémi Tremblay. Diane Bédard : «Depuis 1970, on a connu la montée de francophones au Québec qui ont pris en charge l’économie. On a eu de très grands leaders dont certains sont encore en poste. Existe-t-il une relève au Québec capable de leur succèder?» André Marcheterre s'est voulu résolument optimiste: «La relève québécoise est assurée. Les jeunes des collèges et des universités que nous recevons sont très qualifiés. Ils ont une perspective globale contrairement à leurs aînés qui, dans les années 70, avaient une vision plus provinciale. Dans les années 80, ceux qui nous ont précédés avaient une vision plus nationale. D’autre part, ces jeunes sont aussi plus ambitieux». Rémi Tremblay s'est montré plus nuancé. Selon lui, il va falloir réinventer les organisations pour trouver des jeunes qui acceptent de les diriger. Il s’est dit inquiet que la relève ne veuille pas des organisations qu’on lui donne. Quant à Jean-Marie Toulouse, il n’aime pas trop le mot relève. Il conseille plutôt aux jeunes de trouver leur voie et de se faire une place dans la société. D.B. : «Quel est, selon vous, le profil type d’un président d’entreprise ?» M. Marcheterre : «Dans le futur, nous aurons beaucoup plus besoin de leaders que d’entrepreneurs. Il ne faut plus se baser sur le genre d’organisations (plus petites, qui reposaient sur un inventeur ou sur une découverte et avec une gestion du haut vers le bas), qui ont contribué au développement économique du Québec. Il faut maintenant se tourner vers un autre type d’entreprises, plus soucieuses des besoins du client que de son fondateur ou de son produit. Ce type d’organisations, de nature plus globale, aura besoin de leaders à tous les niveaux et pas seulement au niveau de la direction. C’est l’ensemble des employés qui doivent penser à satisfaire les besoins du client , l’ensemble des employés qui doivent être des leaders.» D.B. : «Quels conseils prodigueriez-vous aux jeunes qui nous écoutent et qui veulent devenir des leaders ?» M. Marcheterre : «Un leader est une personne qui refuse le statut quo, qui trouve toujours des solutions pour améliorer l’organisation et qui montre la voie à ses collègues. C’est quelqu’un de positif et d’enthousiaste. Je pense que le leadership peut s’apprendre à l’école ou en entreprise. Malheureusement, il n’y a pas beaucoup d’écoles qui l’enseignent.» Sur ce point, Jean-Marie Toulouse s’est dit être en désaccord. Selon lui, les écoles comme HEC préparent correctement les jeunes à devenir des leaders. Rémi Tremblay a rappelé qu'il y a quatre ans, Adecco possédait 18 critères de sélection pour des postes de cadres à pourvoir mais ne trouvait pas de candidats. Aujourd’hui, l’agence n’en compte plus que quatre, à savoir avoir un minimum de conscience du monde qui nous entoure, être humble, courageux (pour négocier avec les actionnaires) et généreux (servir les autres plutôt que de se servir soi-même). D.B. : «Qui dit relève, dit transfert de connaissances. Comment transfère-t-on des connaissances d’un individu à un autre et quelle en est la limite ?» M. Marcheterre : «Chez Merck Frost, on utilise le mentorat depuis plusieurs années. C’est une technique efficace pour transférer les connaissances et le savoir faire d’une personne à une autre. Mais le meilleur moyen, selon moi, est de donner l’opportunité aux gens de prendre des décisions et de se faire la main au poste qu’ils occupent, de manière à ce que cela devienne un réflexe. En un an, le mentorat ne pourra jamais rivaliser avec l’expérience de quelqu’un qui prend des risques depuis 20 ans au sein de son entreprise.» D.B . : «Les entreprises seront-elles assez courageuses pour donner des responsabilités à des jeunes et est-ce que leurs collègues plus âgés l’accepteront?» M. Marcheterre : «Si les entreprises ne le font pas, elles ne survivront pas. On est passé d’une époque accès sur le produit à une époque accès sur les clients. Si les sociétés veulent développer une relation privilégiée avec leurs clients, ce ne sont pas les exécutifs qui pourront le faire mais l’ensemble de l’organisation. Il faudra imaginer des organigrammes inversés où les décisions seront prises par les employés et où les exécutifs seront là pour fournir des ressources.» M. Toulouse : «Le transfert de connaissances est et a toujours été la responsabilité des universités. Je suis d’accord avec André Marcheterre sur le principe de laisser une chance aux jeunes et de leur permettre de se faire la main. À HEC, les jeunes qui sont impliqués dans les associations étudiantes sont ceux qui réussissent souvent le mieux dans leur carrière. Mais je pense que le transfert de ce qui n’est pas la connaissance, comme les soft skills en gestion, est beaucoup plus difficile. Quand on dirige une entreprise, il y a des situations complexes à gérer : quel comportement adopter par rapport à un subordonné difficile ? Comment mettre un employé à la porte ? Comment vivre les situations d’échec ? C’est cela, selon moi, qu’il faut enseigner à la relève.» M. Tremblay : «Chez Adecco, on ne croit pas beaucoup à la formation, ni au mentorat. On est plus porté sur la réflexion. Ce qu’il faut offrir aux jeunes, ce sont des organisations intelligentes qui vont leur permettre d’apprendre d’eux-mêmes. Il faut que les leaders acceptent de faire confiance à leurs employés et leur laisse une marge de manœuvre suffisante.» D.B. :«Comment, aujourd’hui, peut- on motiver les jeunes pour qu’ils acceptent de diriger des entreprises ?» M. Toulouse :«Quand une personne accepte de diriger une entreprise, c’est parce qu’elle a des attentes et qu’elle veut les réaliser. Elle souhaite aussi se faire plaisir en y parvenant. Mais si une personne n’a pas de rêves et n’a pas envie de laisser sa marque, elle choisit d’occuper une autre fonction. Je ne suis pas inquiet, je sais qu’il y aura toujours des gens qui auront des rêves qu’ils voudront réaliser.» D.B. :«Rémi Tremblay, vous qui faites beaucoup de coaching auprès des PDG d’entreprises en difficulté et qui recevez leurs confidences. Etes-vous d’accord avec M. Toulouse qui pense que la relève est assurée ? Rémi Tremblay : «Je ne suis plus réservé que lui. Je pense qu’il y aura moins de jeunes qui se proposeront pour diriger une entreprise. De toute façon, le pouvoir, on ne le demande pas, on le reçoit. Mais quand on le reçoit, on a le devoir de l’accepter. Les leaders de demain seront ceux à qui on proposera la gestion d’une organisation et qui auront envie de réaliser des choses.»

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