Entrevue : Jeff Taylor fondateur et CEO de Monster Worldwide


Jeff Taylor, fondateur et CEO de Monster Worldwide rencontre Manuel Francisci, président et fondateur de jobWings.

Étaient également présents lors de la rencontre : Gabriel Bouchard, Directeur général de Monster.ca et Catherine Guhur, Directeur développement des affaires de jobWings. Le texte ci-dessous a été modifié pour s'adapter à votre écran.

Manuel Francisci : Que nous vaut l’honneur de votre visite au Québec ?

Jeff Taylor : En fait, notre siège social pour tout le Canada est ici à Montréal, et tout récemment, nous avons eu une petite fête pour nos clients, à Toronto. J'en ai profité pour venir à Montréal. Donc, je suis ici pour voir mon monde, m’entretenir avec Gabriel [Bouchard] et assurer un lien avec notre département des ventes. Ensuite, c’est le même scénario qui se répétera dans une autre ville. En tout, je suis de passage dans 21 pays. Je fais le grand tour et je recommence de nouveau.

M.F. : Au moment du lancement de Monster, vous attendiez-vous à un tel succès à l'échelle mondiale ?

J.T. : Le tout est parti d’une idée en décembre 1993, à un moment où le concept de recrutement en ligne était totalement inexistant. En fait, Internet existait à peine, Monster est devenu la 454e entreprise « dot com ». Tout cela, sans modèle ni guide. Par le passé, j'avais une agence de publicité, un scénario où les éditeurs récoltaient 85 % des profits alors que ma part se chiffrait à 15 %. Désormais, je voulais prendre la place de l’éditeur. De plus, j’ai découvert qu’il y avait de grands avantages à être éditeur dans Internet : pas de papier ni d’encre, ni de presses, ni de syndicats, ni de bureaux, ni de réseau de distribution, ni de camions… Oui, mon défi allait devenir celui de devenir éditeur. Ce que j’ignorais, cependant, c’est que Monster allait étendre sa renommée mondiale dans 21 pays !

M.F. : Voyez-vous toujours le Québec faisant partie d’un seul marché canadien, ou comme un marché distinct qui nécessite des stratégies de pénétration distinctes ?

J.T. : Je vois le Canada comme un marché. Ensuite, je considère les provinces de la même façon que je considère mes centres d’affaires principaux aux États-Unis : des endroits où je dois refléter un langage et une culture locale, sans devoir faire une distinction entre Dallas et Chicago. Et dans les provinces canadiennes, nous sommes, je crois, à la tête du peloton. Premièrement, parce que nous avons embauché des canadiens pour diriger nos opérations au Canada. […] Il y a, certes, des nuances dans chaque pays, et il en va de même pour la façon dont nous faisons affaire à Toronto ou à Montréal. Puis, je me fie à mon équipe pour m’aider à comprendre ces nuances.

M.F. : Comment évaluez-vous l’efficacité de vos campagnes de marketing, ici au Québec ?

J.T. : Si vous partez de nos débuts en 1997, vous avez aujourd’hui une marque qui a 6 ans avec une notoriété spontanée de 78 %, et une notoriété assistée encore plus élevée. […] En fait, notre marque bénéficie d’une notoriété assistée de 92 %. Ça, c’est une mesure qui m’importe ! Voilà une locomotive (engine). Vous n’êtes pas tout à fait en affaire et déjà votre marque a une certaine notoriété ! Puis, nous avons un tarif Internet merveilleux pour les chercheurs d'emploi: gratis. Et un partenariat merveilleux avec les employeurs, nous n'avons pas changé leur façon d’acheter des services, nous avons tout simplement changé la méthode de publication. Ils savent déjà comment afficher un poste, car c’est ce qu’ils faisaient déjà dans les journaux. Nous n’avons, donc, rien changé : les employeurs continuent d’acheter des annonces pour leurs postes à combler. En fait, nous avons modifié, et surtout amélioré, la méthode de publication (distribution) et augmenté la visibilité des offres d’emploi. Résultat ? Les employeurs offrent très peu, sinon aucune, résistance à adopter notre programme. Et Monster a été le pionnier à éduquer les employeurs à propos de cette méthode plus efficace : un lieu novateur où les acheteurs peuvent rencontrer des vendeurs. Un véritable carrefour d’acheteurs et de vendeurs, et plus précisément, dans notre cas, un carrefour de chercheurs d’emplois et d’employeurs. Ensuite, nous avons innové avec notre répertoire de CV (resumé databank) — un produit que les journaux ne peuvent offrir — de sorte que nous avons désormais un avantage dans le marché. Un avantage qui se chiffre à 1.45 million de CV provenant du Canada et environ 400 000 en provenance du Québec.

Catherine Guhur : Serait-il envisageable que votre répertoire de CV devienne votre produit phare ?

J.T. : Oui, mais c’est ce que j’appelle un miroir. L’employeur fait une annonce et le chercheur d’emploi apporte ses compétences. Certes, la façon dont les deux parties se rencontrent va, sûrement, continuer à évoluer, mais il restera toujours deux parties. Le répertoire de CV est un produit puissant et fantastique pour nous. Il compte pour environ 33 % de nos revenus, comparativement à 55 % pour l’affichage de postes. Il y a donc une répartition. Mais nos revenus ont augmenté dans les deux cas. Enfin, dans un plus grand marché, il est possible de voir un nouveau produit prendre les devants. Et il est possible qu’à la longue, l’affichage des postes disponibles ne soit plus nécessaire et que les employeurs ne recrutent qu'à travers la base de données de CV. Au total, au Canada, il y a 15.6 millions de travailleurs. De ce nombre, 1 travailleur sur 10 a son CV sur Monster.ca. Aux États-Unis, c’est 1 travailleur sur 7…

M.F. : Est il vrai que Monster se prépare à l' explosion du recrutement chez les cols bleus ? Nous avons vu, par exemple, vos annonces pendant le Super Bowl…

J.T. : Oui. Définitivement ! Notre publicité du Super Bowl mettait en vedette un camion errant sans chauffeur, avec l’idée qu’il existe à quelque part une entreprise de camionnage qui a besoin d’un chauffeur et un camionneur qui se cherche un travail. Il fallait faire ressortir l’idée que Monster travaille désormais pour tout le monde. 54 % de la main d’œuvre aux États-Unis est composé de travailleurs « qualifiés et à taux horaire » (skilled and hourly workers) : des travailleurs dans la vente au détail, dans la restauration ou dans l’industrie du camionnage où un permis est requis. Mais à ces 54 %, même s’ils connaissaient notre marque, nous n’avions jamais offert ce que nous offrons aux travailleurs de l’industrie du savoir (knowledge workers). C’est maintenant ce que nous entreprenons et nous faisons maintenant appel aux employeurs qui embauchent cette catégorie d’employés. […] Au Canada, les travailleurs « qualifiés et à taux horaire » représentent environ 45 % de la main d’œuvre. Alors, logiquement, nous allons faire la même chose ici, même si nous ne l’avons pas encore annoncé formellement.

M.F. : Comptez-vous réaménager votre site pour accueillir ces nouveaux travailleurs ?

J.T. : En fait, nous l’avons déjà fait. Mais, ce que nous n’avons pas fait, c’est de créer un endroit distinct pour les travailleurs « qualifiés et à taux horaire ». Nous avons plutôt modifié Monster à sa base. Alors, maintenant, les candidats ont le choix de composer leur CV ou de compléter un formulaire d'application sur notre système. Essentiellement, les travailleurs « qualifiés et à taux horaire » utilisent le formulaire d'application. Donc, nous avons apporté des changements en profondeur…

C.G. : Également au Canada ?

Gabriel Bouchard : Oui, ça s’en vient. Je ne vous dévoilerai pas la date, mais… (rires) peut-être la veille !

M.F. : Quelle est selon vous l'avenir des sites d’emplois spécialisés (niche sites)?

J.T. : Notre entreprise est comme une manivelle. Plus on attire des chercheurs d’emplois, plus nous attirons des employeurs. Et plus nous attirons des employeurs, plus on a les dollars nécessaires au marketing pour attirer des chercheurs d’emplois. Mais allons-y de quelques observations sur les sites d’emplois spécialisés. Premièrement, ils n’ont pas les ressources aux ventes nécessaires ni l’infrastructure requise pour livrer leur produit de façon à laisser une large empreinte sur le marché (footprint). Par conséquent, un site spécialisé ayant fait ses débuts à Montréal aura beaucoup de difficultés à s’implanter à Toronto, ou à Calgary. Donc, les sites spécialisés ont tendance à obtenir un certain succès, mais localement, sans la capacité nécessaire à la distribution [de leurs services]. Deuxièmement, il y a le facteur « surprise ». La question se pose : comment doit-on se définir en tant que site d’emplois spécialisés ? Êtes-vous un site spécialisé pour les hôpitaux ou êtes-vous un fournisseur d’employés de support (allied help) ? Avez-vous des infirmières ? Des programmeurs-analystes qui oeuvrent dans le milieu hospitalier ? Acceptez-vous ce genre de main d’œuvre ? Puis, tout à coup, l’ensemble, ou la matrice, se complique pour […] le site spécialisé. Comment doit-il définir son marché ? En se limitant à l’une des trois solutions mentionnées, le site spécialisé ne peut offrir de solutions globales aux hôpitaux ! Enfin, nous nous sommes aperçus que la vraie locomotive (engine) de Monster, au-delà de notre leadership et de notre avantage de premier dans le marché (first mover advantage), c’est notre part de marché. Et grâce à l’importance de celle-ci, de notre pénétration, et de nos ventes auprès des employeurs, nous avons plus de chercheurs d’emplois spécialisés que les sites spécialisés ! De la même façon, nous avons aussi plus d’employeurs de ce type d’emplois que les sites spécialisés. Nous avons des sources de revenus légitimes et nous sommes rentables au Canada, avec un flux de trésorerie dont les résultats sont positifs. Nous avons donc les dollars nécessaires au marketing. [À l’opposé], ce que j’ai vu au cours des 5 dernières années, c’est l’ensemble des sites spécialisés faire faillite. Pas tous, mais 90 %.

M.F. : Quelle était votre intention en acquérant FlipDog ?

J.T. : Excellente question ! [Leur] technologie perturbatrice (disruptive technology) : un engin de recherche (crawler) qui peut repérer des emplois sur d’autres sites Web. [Mais], contrairement à ce que tout le monde pense, j’ai fait cette acquisition pour une tout autre raison : je l’ai acheté comme « source de prospection » pour mes ventes, comme outil pour identifier non seulement des compagnies dans le Web, mais aussi, pour obtenir de [nouveaux] emplois. Ensuite je peux redistribuer ces prospects à mes vendeurs à l’aide de mon système Siebel.

M.F. : Considérez-vous les projets du type DirectEmployers comme une menace ? Que pensez-vous des employeurs qui préfèrent faire leurs propres recrutements, sans passer par Monster ?

J.T. : Je crois qu’il s’agit du scénario de « la saveur du mois ». Mais pour l’instant, faisons abstraction de DirectEmployers. Regardons, plutôt, une compagnie qui développe son propre site Web […] avec l’idée que l’ensemble des postes à pourvoir sera diffusé sur le site de la compagnie. Et ils décident qu’ils n’ont pas besoin d’une source d’approvisionnement en candidats (sourcing engine). Ils peuvent aussi se regrouper à plusieurs [ex: DirectEmployers]. Alors, le chercheur d’emploi qui veut travailler pour la compagnie ABC consultera le site d’ABC, n'est-ce pas ? Mais, en réalité, ce n’est pas de cette façon que les gens recherchent un emploi, et je suis bien placé pour le savoir ! 90 % des chercheurs d’emplois utilisent le titre d’une fonction plutôt que le nom d’une compagnie [lorsqu’ils effectuent une recherche avec Monster]. En fait, le nom de la compagnie leur importe peu. Certes, le nom de la compagnie leur est important, mais ce n’est pas de cette façon qu’ils dirigent leurs recherches. Alors, pourquoi une grande entreprise aurait-elle besoin de Monster ? Même si tout le monde connaît ABC ? […] Parce que d’annoncer ses propres postes sur son propre site Web équivaut à installer une affiche sur la porte d’entrée de son propre bureau. Résultat ? Le réparateur du télécopieur verra l’affiche, le livreur d’eau, ainsi que vos stagiaires. Mais s’agit-il de vos futures employé(e)s doté(e)s des compétences dont vous avez besoin ? [Et dans un scénario de regroupement d’employeurs sur le Web], ABC serait forcé de rediriger ses propres visiteurs et de les partager avec 10 autres partenaires ! C’est presque un modèle d’entreprise inversé en ce qui a trait au branding! Comment peut-on rediriger des visiteurs attirés par notre marque puis tout bonnement les partager avec nos compétiteurs ? […] Il ne peut pas s’agir de votre stratégie première ! Votre stratégie doit être d’attirer des ressources compétentes et de vous les approprier.

J.T. : Parlez-moi un peu de vos projets et de votre publication, son lectorat et l’accueil qui lui est réservé.

M.F. : Nous nous tenons au courant des tendances de par le monde. Nous tentons d’identifier les grands courants, en Europe et ailleurs. Et par l’entremise de La Toile des Recruteurs, nous traitons du recrutement ici au Québec. Et nous publions des reportages sur ce qu’il se passe ailleurs…

J.T. : Donc, si vous voyez une publicité de Monster durant le Super Bowl et vous voyez que nous nous dirigeons dans une certaine direction…

M.F. : Oui. Monster a les budgets pour la recherche et le marketing que nous, nous n’avons pas. Voilà pourquoi nous regardons tout le monde. Et nous partageons cette information avec tout le monde au Québec. Mais nous utilisons aussi cette information pour nos propres sites. Pour nos stratégies de développement.

J.T. : Parce que vous opérez des sites d’emplois spécialisés ? JobWings, en finance, je crois ? M.F. : Nos opérons jobWings.com, un site spécialisé dans le domaine de la finance et de la comptabilité. C’est mon premier site, lancé il y a 2 ans, en février 2001…

J.T. : Et vous en êtes le propriétaire ?

M.F. : Oui

J.T. : Et vous avez lancé une publication ?

M.F. : Oui

J.T. : Alors, voilà qui est fort intéressant. Car je vous présente une évaluation franche et honnête, alors que vous faites partie de la même industrie…

M.F. : Et en même temps, je porte la casquette du journaliste. Mais, il s’agit d’un outil extraordinaire, car il permet de rencontrer les gens de l’industrie au Québec. Ils sont heureux de parler avec nous parce que je partage l’information avec les autres. […]

J.T. : Mais, en raison de cet entrevue, et en raison de votre chapeau de journaliste, je vois difficilement comment votre stratégie peut avoir du succès. Parce que, non seulement avez-vous plusieurs spécialités, mais vous avez aussi plusieurs marques. Et si vous regardez l’outil dont je me suis servi pour construire Monster, la marque a été [martelée]: Monster, Monster, Monster, Monster…

M.F. : Ma trajectoire est à l'opposée de la votre. Nous n’avons pas de banque de CV… et nous n’en voulons pas. C’est une autre philosophie du recrutement. Le branding de chacun de nos sites s’adapte à un auditoire de candidats ciblés. Chaque site a sa propre identité. Les outils sont les mêmes, mais les sites sont différents, tout comme les candidats.

J.T. : Permettez-moi de vous fournir un exemple. Sur Monster, nous avons un site pour le domaine de la santé : H Monster. Pour chaque 1 000 recherches de postes en santé dans notre répertoire général de postes (core database), il y a 1 recherche sur H Monster. C’est donc la marque Monster qui génère l’énorme achalandage vers, ce qui est, en fait, un genre d’entrepôt central [de l’emploi]. […] Les gens ont très peu d’intérêt à aller ailleurs. [De plus], le nombre de marques que les gens peuvent intégrer à leur vie, de façon utile, est limité.

M.F. : Je suis d’accord, mais, le comptable agréé montréalais n’a besoin que d’une seule marque : jobWings. Le professionnel des ressources humaines aussi pensera à une seule marque. Et je ne veux pas voir le comptable agréé sur La Toile des Recruteurs ; il n’y a rien pour lui sur ce site. De plus, je ne veux pas recevoir des CV non pertinents. C’est aussi une façon de décourager les postulants impulsifs, car, à l’occasion, un chercheur d’emplois [non qualifié] peut tomber sur le site de jobWings. Il se dira : tiens, il n’y a aucun emploi pour moi ici. Et il ne reviendra plus jamais. C’est ce qu’on veut.

J.T. : Mais comment a-t-il entendu parler de jobWings ? Et bien… par la meilleure méthode : le bouche-à-oreille. Et nous nous efforçons de bâtir une communauté. Et c’est moins cher et plus facile d’atteindre une communauté restreinte. Nous faisons également de la publicité dans les magazines spécialisés s’adressant aux CA et aux CMA. Nous achetons également des mots clés sur certains moteurs de recherche. Enfin, il y a les commandites. Par exemple, demain soir nous sommes le partenaire principal du Gala de la réussite des comptables agréés, lors de leur cérémonie de remise de diplômes.

J.T. : Êtes-vous présent à Toronto ?

M.F. : Pas pour l’instant. Nous sommes, jusqu’à présent, une entreprise autofinancée et, en ce moment, nous sommes, en réalité, trois personnes. L’année dernière, j’étais seul. Nous avons embauché un programmeur, Catherine pour le développement, et moi pour tout le reste (rires). Et notre plus récente initiative a été, il y a trois semaines, le lancement québécois de beljob.ca : un site comportant des postes indexés par un moteur de recherche. Et nous avons l’intention de le vendre avec la formule clics-par-candidats. Nous visons le marché de Jobboom, ici au Québec. Ensuite, celui de Workopolis au Canada, puis…

J.T. : Votre principal obstacle sera financier. Vos fonds vont s’épuiser bien avant vos perspectives de croissance.

M.F. : J’en suis conscient, mais pour l’instant nous avons réussi à nous autofinancer. Je sais que nous aurons besoin de fonds pour développer le marché ailleurs au Canada. Mais je peux compter sur le capital de risque et pas mal de contacts dans ce domaine.

J.T. : Alors, comment voyez-vous Monster à titre de compétiteur ?

M.F. : Honnêtement, je ne considère pas Monster comme un concurrent au Québec. Je ne m’intéresse pas à leur marché. Jobboom a une plus grande part de marché que Monster ou Workopolis… Au Québec, [la compétition] c’est Jobboom. Au Canada, selon moi, c’est Workopolis. Monster est, probablement, également reconnu au Canada… Vous êtes dans le marché des répertoires de CV (resumé database). Mes sites spécialisés s’intéressent à l’affichage de postes uniquement. De plus, selon moi, Jobboom détient près de 70 % de part de marché au québéc. N'est ce pas ?

J.T. : Je suis en total désaccord, mais soit.

G B. : Ce qui importe vraiment ce sont les annonces qui ont généré des revenus. S’il y a 30 000 postes annoncés sur un site d’emplois alors que seulement 2 000 ont généré des revenus, la part de marché pour ce site est de 2 000 postes !

M.F. : Mais Jobboom n’a pas la réputation de publier des annonces gratuitement !

G.B. : Permettez-moi de vous présenter la situation autrement. Si vous payez 500 $ pour la publication de… disons 60 postes, sur une période de 30 jours ; cela fait un poste à toutes les 12 heures. Vous avez payé 500 $ et vous pouvez afficher 60 postes durant 12 heures chacun. J.T. : C’est un autre modèle d’entreprise.

M.F. : Mais cela nous pose un grand problème en raison de la perception des clients. Ils leur en coûte 12 $ par jour. En achetant pour 500 $, ils peuvent annoncer ce qu'ils veulent pour 30 jours, notamment parce que Jobboom offre la formule des jour(s)-poste(s). Les employeurs peuvent annoncer pendant trois jours puis retirer leur annonce. C’est astucieux de leur part. Mais il reste la perception que l’annonce ne coûte que 12 $ par jour. Alors qu’avec mon site, même si les recruteurs savent pertinemment que je peux leur offrir un meilleur rapport qualité-prix, ils se heurtent à la résistance du client interne! Voilà pourquoi j’ai dû réduire mes prix. Auparavant, sur jobWings, une annonce coûtait 500 $. Le coût a maintenant été réduit de moitié.

J.T. : Comment pouvez-vous être objectif en écrivant vos articles ?

M.F. : (Rires) J’essaie !

J.T. : Je suis vraiment curieux… parce que si vous n’y arrivez pas, je ne vous accorderais jamais plus d’entrevue. Et, je détecte certaines choses. Je suis peut-être un peu naïf dans ce marché, sans vraiment savoir à qui j’accorde cette entrevue. Sauf que maintenant je regarde vos questions d’un autre oeil : vous avez des arrière-pensées dans toutes vos questions ! Alors, faites très attention. Si vous n’arrivez pas à écrire un article objectif, vous n’aurez plus aucune crédibilité à mes yeux.

M.F. : J’en suis conscient. Et pas seulement auprès de vous, mais avec l’ensemble de la communauté des ressources humaines ! Ma crédibilité me tient beaucoup à cœur.

J.T. : Je le conçois, mais ce qui m’importe c’est la façon dont j’ai partagé de l’information avec vous dans ce bureau […] et votre responsabilité de journaliste de la rapporter de façon honnête. Et je vous bouscule un peu parce que vous n’avez aucune séparation entre Église et État.

M.F. : Si je le pouvais, il y en aurait une, mais pour l’instant, nous n’avons pas les moyens financiers nécessaires.

J.T. : Si je rencontre le New York Times, je sais qu’ils sont propriétaires du Boston Globe et par conséquent, détenteur de Boston.com et de Bostonworks. Mais il y a une séparation entre l’Église et l’État. Je crois que pour être juste, cela doit être dit clairement. Vous opérez une entreprise qui est en concurrence avec la mienne, tout en m’interviewant sur mes stratégies et sur le moment de leurs implantations dans différents marchés. Alors, si je n’ai pas la chance de renverser la vapeur et de vous poser des questions à mon tour, c’est complètement injuste ! Et sachez que j’ai moins d’intérêt envers cette entrevue que j’en ai pour bâtir une relation d’affaires équitable entre votre entreprise et la mienne.

M.F. : Vous saviez d’entrée de jeux que je jouais sur les deux tableaux ?

J.T. : J’ai lu le dossier hier soir. Mais pour moi, la question prépondérante touche aux multiples dynamiques du marché et de ce que nous avons discuté. Il s’agit de vraies questions entre votre entreprise et la mienne et non pas [simplement] de l’écriture d’un article. Alors, nous avons ici un portrait [de deux entreprises] où il serait amusant de mettre en contraste nos idées ; la possibilité d’un article où vous vous assoyez avec Jeff en tête à tête pour présenter des approches au marché aux antipodes l’une de l’autre. Du genre : voici la façon dont Monster s’attaque au marché ; voici mon approche. Voici ce que Jeff a à dire sur les points forts et les points faibles de ma stratégie et voici ce que je pense de la sienne. Je serai à l’aise avec ça, pourvu que ça soit présenté de façon équitable.

M.F. : Gabriel, as-tu déjà lu un article [sur La Toile de Recruteurs] qui n’était pas objectif ?

G.B. : Non. Je dois dire que tu as créé… je veux dire… Je pense avoir toujours été bien traité lors de nos rencontres. Il y avait une fois où je n’étais pas content, et que je t’en ai fait part, puis tu t’es empressé de publier [une rectification]. Il reste que c’est une situation délicate dans laquelle tu t’es placé…

M.F. : Oui, je le sais. Notre publication doit être objective sinon nous allons cesser [la publication] ou nous en départir. Au départ, avant de lancer La Toile de Recruteurs, je cherchais à créer une association de recruteurs, mais j’ai appris qu’il était beaucoup plus coûteux de mettre sur pied une association que de fonder une corporation. De plus, c’est tout un casse-tête à gérer ! Mais, je m’amuse. C’est l’essentiel !

J.T. : J’aimerais bien savoir comment vous évaluez les parts de marchés. Vous vous basez sur le nombre d’emplois ?

M.F. : La meilleure façon d’évaluer un concurrent est par la qualité des postes annoncés et non par leur quantité. Il va de même pour l’achalandage. Je ne cours pas après l’achalandage. Je cours après les candidats qualifiés.

J.T. : Je détiens une entreprise en Australie, où une compagnie du nom de Seek est en première position dans le marché. Je suis en deuxième, et de loin en deuxième… Mon gérant — l’équivalent de Gabriel, en Australie — est d’avis que le nombre de candidats importe peu, que c’est la qualité des candidats qui compte. [Mais]… c’est une stratégie de deuxième, une stratégie de perdant, parce que nous n’avons pas un assez grand volume ! Et ce que nous avons dû faire en Australie c’est d’admettre que nous ne pouvions battre le numéro un. Nous sommes donc devenus un site d’emplois spécialisés (niche site), alors [que] la question n’en est pas une de qualité… Je sais : ce n’est pas le nombre de CV qui compte, […] vous proposez des « princes » et non des « grenouilles », n'est-ce pas ? Voilà un débat intéressant !

M.F. : Mon objectif n’est pas de devenir le plus grand site d’emplois, mais, le meilleur. Et je crois, du moins au Québec, que jobWings est le meilleur site pour le genre d’emplois que nous diffusons. Et voilà, sans doute, pourquoi la majorité des grands employeurs du Québec se tourne vers jobWings pour recruter des CA, CMA et des CGA.

J.T. : Alors, [d’un côté], nous avons un modèle d’entreprise à l’échelle mondiale qui marche assez bien — avec, certes, de la place à l’amélioration —, versus un modèle d’entreprise locale qui cherche la croissance. [Ma faiblesse] se situe dans ma vitesse d’exécution et ma flexibilité, [alors que] le conflit inhérent à votre modèle d’entreprise est que vous ne pouvez pas être présent à trop d’endroits en même temps : vous devez prudemment choisir vos spécialisations. Même que je crois que cette entrevue est une distraction ! […] À l’école de commerce, on nous enseigne que si vous n’êtes pas bon pour opérer une entreprise, il ne faut pas en démarrer une deuxième. Et ce n’est pas que vous n’êtes pas bon… Dans votre cas, c’est novateur d’avoir une publication, mais c’est [aussi] une perte de temps, car vous devriez vous investir à trouver des clients pour votre site Web. Voilà où se trouve l’argent !

G.B. : Et ce sont les leçons que nous avons apprises avec TMP, ce que Jeff a appris, et ce que j’ai appris moi aussi. Il faut se concentrer sur notre locomotive (engine). Et c’est pourquoi TMP se retire du marché de la recherche de cadres. Parce que nous devons recentrer notre entreprise.

M.F. : TMP a débuté un processus d’élagage en se scindant en divisions. Serait-ce pour se faire acheter ?

J.T. : C’est une perception. Mais j’hésite […] sur le choix de vos mots. Parce qu’on procède à l’élagage d’un arbre pour permettre une meilleure croissance de certaines branches bien choisies. C’est tout à fait vrai. Mais, ce n’est pas votre question. Vous voulez savoir si cet « élagage » a pour objectif l’acquisition [par un tiers]. Il y a, sans doute, un autre mot qui est plus approprié. J’essaye de le trouver […]. On polit les pommes pour l’acquisition. On procède à l’élagage pour permettre la croissance. Voilà, c’est ça ! On élague pour se recentrer, pour bien se diriger, pour se rétablir.

M.F. : Monster a les ressources nécessaires pour créer un service de validation de CV (certification) à travers le monde. Y avez-vous pensé ?

J.T. : Je crois à la certification et il y a un nombre de choses qui sont possibles […]. Nous pourrions vérifier les réponses à certaines questions traitant de faits concrets : si vous avez déjà été arrêté, ou l’année où vous avez obtenu votre diplôme. La certification pourrait se faire par une tierce partie.

M.F. : Par Dunn & Bradstreet, par exemple ?

J.T. : Possiblement. Oui. Mais, je n’aurais peut-être pas à promouvoir [leur] marque. […] Il y aurait un moteur fonctionnant en arrière-plan. Et le chercheur d’emploi pourrait payer 19.95 $ pour la certification. Et le livrable, en arrière-plan, la certification, serait celle de Dunn & Bradstreet. Donc, s’il y a des questions, ce serait [à] Dunn & Bradstreet… Mais je suis curieux face à vos décisions. […] Vous ne prenez pas les CV… ?

M.F. : Je suis d’avis que la technologie poste à poste (peer-to-peer) représente une forme de menace aux grands répertoires de CV. Parce que le CV qui est le plus à jour est celui qui réside sur le disque dur du candidat. Et la technologie poste à poste permet aux candidats de partager leur CV à travers la planète. Il y a toujours la possibilité qu’un service semblable à Napster apparaisse sur le marché.

J.T. : Oui, c’est fort intéressant. Il y a une valeur [marchande] de ce côté, tout comme du côté des offres d’emploi. Nous avons tendance à regarder [uniquement] le côté des emplois. Mais il existe aussi des moteurs de balayage (crawlers) du côté des CV. Même que nous avons cette capacité depuis plus de 5 ans ! Cependant, ça génère aussi beaucoup de déchets, et les opinions sont partagées. Alors, la vraie question devient celle-ci : quelle place existe-t-il pour une marque connue, à laquelle on fait confiance, dans tout cela ? Je ne veux pas être naïf au sujet des technologies perturbatrices (disruptive technologies), mais je vous dis, en même temps, qu’il ne faut pas sous-estimer le pouvoir et la force d’une marque. Elle apporte une certaine validation… Et, de façon générale, c’est la raison pourquoi Google fonctionne mieux que WebCrawler : parce qu’on fait confiance aux marqueurs Méta employés par Google, tout comme on fait confiance à leur marque.

M.F. : Ils ont bâti leur marque à partir de rien. Ils n’ont jamais dépensé 1$ pour de la publicité. Uniquement du bouche à oreille. Et ce n’est pas leur marque qui les a rendus populaires. Ce sont leurs résultats. Il s’agit, sans doute, de la plus importante leçon que j’ai apprise : la meilleure façon de ne pas perdre de l’argent avec Internet c’est de ne pas en avoir…

J.T. : En fait, il s’agit d’une stratégie astucieuse qui est désormais utilisée partout dans le monde. Les premiers sites Web allaient chercher 5 millions de dollars en financement, alors ils dépensaient 5 millions avant même de comprendre ce qu’ils faisaient ! Aujourd’hui, ils vont chercher 10 ou 20 mille dollars, mais ils se posent toujours les mêmes questions…

M.F. : Voyez-vous, avec Beljob.ca nous avons construit un moteur de recherche qui a nécessité 8 mois de développement. Ce genre de moteur aurait pu nous coûter 4 millions de dollars si nous avions choisi d’obtenir du capital de risque auprès de certaines sociétés montréalaises. Mais, parce que nous n’avions pas les fonds, nous avons regardé le problème d’une autre façon. Et, [avec notre moteur de recherche], nos résultats sont plus fiables ! Et nous sommes plus rapides, avec des mises à jour aux deux heures.

G.B. : Et il y a, sans doute, quelqu’un, à quelque part, dans un sous-sol, qui trouvera une meilleure solution.

M.F. : Probablement. Mais, ils devront rejoindre le marché pour faire connaître leur marque. Et ce que je propose c’est la formule de payer-par-clic. Ça marche très bien sur Google. Jobboom y va de sa formule de jour(s)-poste(s), mais le premier jour et le quinzième jours est au même tarif. C’est injuste […].

C.G. : Que vouliez-vous faire comme métier lorsque vous étiez enfant ?

J.T. : Un pêcheur à la traîne professionnel. Ça a évolué depuis. On se revoit l’année prochaine pour savoir où nous en sommes… www.monster.com

Articles récents par
Commentaires

Réseau d'emplois Jobs.ca