Chronique sarcastique et candidat aseptisé

C’est en revenant de vacances que l’idée de cette chronique a germé. Une collègue bloggeuse, Marie-Claude Ducas, écrivait ceci sur son blogue : « Le bronzage est bientôt ‘‘out ’’.»

Alors que je rentrais tout juste de vacances et que je me trouvais plutôt bonne mine avec mon teint caramel, je compris illico que je faisais plutôt mauvaise figure. Au cas où j’en aurais douté, une connaissance que je croisais dans la rue me dit : « Heureusement, d’ici la rentrée tu auras tout perdu! » Heureusement? Est-ce par pure jalousie (je suis partie au soleil, pas lui?), par souci de ma santé (oui j’ai bravé le soleil, armée de mon tube de crème solaire!) ou encore parce que nous vivons dans une époque de plus en plus aseptisée et « politically correct ». Vous voulez des exemples?
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  • On ne peut plus afficher aucune tendance pour le tabac : un candidat dont le paquet de cigarettes dépasserait de son sac perdrait immédiatement des points avec son recruteur.
  • Un repas le midi est socialement acceptable si et seulement si vous ne commandez que de l’eau plate et ultra-plate!
  • Un individu au teint trop bronzé peut sembler :

    1. avoir pris trop de vacances au soleil au lieu de se chercher un emploi;
    2. ne pas faire attention à sa santé;
    3. Se soucier trop de son apparence et faire figure de Barbie ou de Monsieur Ken.
  • Un individu dont le poids n’est pas aux normes suscite les réactions suivantes :

    1. Le surpoids est inacceptable, c’est un signe de mauvaise santé et surtout, pour certains, un signe de faiblesse. Que la personne soit ultra-compétente ou non, les Ayatollahs du poids santé vont le crucifier;
    2. La maigreur est tout aussi inacceptable et sujette aux mêmes sanctions. Elle est néanmoins plus socialement acceptable, surtout si vous avez le teint pâle (généralement cela va avec, donc vous êtes sauf!).
  • Un individu « trop beau » est considéré comme moins intelligent, surtout si c’est une femme blonde, au teint pâle et plutôt mince.
  • Un individu « trop laid » est relégué à des fonctions d’arrière-scène de peur d’effaroucher les autres.
  • Un individu en provenance de l’étranger et dont le nom est difficile à prononcer peut être sujet à plus de moqueries. Il va devoir travailler plus fort pour prouver sa compétence et s’intégrer.
  • Enfin, une femme qui veut revenir sur le marché du travail après avoir consacré sa carrière à sa famille va devoir montrer patte blanche auprès de celles qui ont dédié leur vie à leur carrière. Notez que le cas inverse est aussi vrai. Les femmes ont souvent tout faux. Un conseil, Mesdames, teignez-vous les cheveux en brun et soignez votre teint de lait…
  • Pour des questions d’équité, je me permets de rajouter un dernier item concernant les hommes qui prendraient une pause pour s’occuper de leurs enfants. Ils auront droit au même traitement que leurs consœurs (voir ci-dessus).
     
Certes, cette chronique est quelque peu sarcastique et non « polically correct » mais, sincèrement, nous qui travaillons en ressources humaines, ne sommes-nous pas les derniers garde-fous de ces dérives?
Combien de candidats n’obtiennent pas l’emploi convoité pour des raisons inavouées et inavouables? Combien de candidats perdront plusieurs centaines voire de milliers de dollars en salaire par faute de se conformer au diktat des critères de santé, beauté et autres tendances. À ce chapitre, notez que les tendances en affaires et dans le monde corporatif pour avoir recours à l’eldorado du Botox et autres « relookages » en douceur sont de plus en plus prisées par les cadres qui veulent rester « attractifs » sur le marché de l’emploi. En clair, ceux qui braveront les dieux des substances « juverdermisantes » ou carrément le bistouri joueront avec le feu…

Nous devons manger santé, boire santé, éduquer nos enfants et travailler dans des environnements si aseptisés que nous en perdons tout jugement. C’est ce qui m’effraie le plus. À force de javelliser nos paroles, nos actes et nos pensées, nous finirons bien par ne plus voir ce que l’on nous sert et nous finirons tous en mouton. Nos organisations méritent des candidats hors normes, des libres penseurs aussi et des individus capables de les « challenger ». Ce n’est ni en les gavant de nourriture (y compris intellectuelle) inodore et sans saveur ni en les forçant à rentrer dans le moule que nous serons capables d’innover. Tout est dans le jugement et la modération. La nature de l’humanité est d’être habitée par ses passions; si nous devons savoir les contrôler, nous ne pouvons les ignorer. C’est ce qui nous garde en vie et loin de l’ennui.

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