Entrevue :Yves Lefebvre et Jean Talbot

Entrevue :

Yves Lefebvre (Directeur, Pré-emploi) et Jean Talbot (Président) de Chartrand Laframboise


 

Chartrand, Laframboise est l'une des plus importantes firmes québécoises spécialisées dans le domaine de la sécurité privée. Parmi son vaste éventail de services, on retrouve le service de vérification pré-emploi. Petite incursion dans le mystérieux monde du renseignement… 1- Pourquoi fait-on de la prévention ? La vérification pré-emploi est un élément de prévention mais le processus est plus global et plus large. Notre firme est constituée de deux grands volets, la prévention et l’intervention, au niveau de la prévention nous avons une section consultation, nous sommes sollicités par les entreprises pour évaluer les risques physiques et humains et pour proposer des solutions adéquates. Sur 70 employés, 18 personnes travaillent dans la prévention. Peut-être que les deux volets prévention et intervention s’équilibreront un jour car les actions en intervention sont infiniment plus coûteuses. Les vérifications pré-emploi relèvent du bon sens. Les informations recueillies permettent de prendre une décision éclairée lors d’un recrutement. Faire une vérification est rentable étant donné son faible coût dans le processus global d’un recrutement (une vérification de dossier judiciaire coûte moins de 45 dollars par exemple). Par ailleurs, c’est sécuritaire, c’est une responsabilité morale de l’employeur face à ses employés, ses clients et ses fournisseurs, il doit protéger sa réputation. Par exemple, pour une firme de service, il est très important d’avoir des collaborateurs extrêmement fiables car ils seront en contact avec ses clients. Un criminel professionnel a rarement des objectifs communs avec ceux de son employeur, il peut par exemple entrer dans une entreprise pour rechercher de l’information. Aujourd’hui, la criminalité a changé, il s’agit de délits cravatés, on ne parle plus de vols de banque mais de fraude. Au niveau de la gestion, il est question d’être proactif afin de protéger l’entreprise en interne, la démarche est justifiée et sécuritaire. 2- Existe-t-il des statistiques ? Dans les entreprises, on ne parle pas de vol mais de perte. Les pertes subies par les entreprises représentent un certain pourcentage du chiffre d’affaire. Un programme de prévention permet de se trouver en dessous du seuil de tolérance en terme de perte (1 à 2% par exemple). Les chiffres sont difficiles à vérifier mais il paraîtrait que la majorité des pertes en entreprise viendraient de l’interne. Les pertes sont donc majoritairement dues aux employés et non de l’externe. Au niveau de nos vérifications, 5 à 15 % des candidats ont des antécédents criminels et il ne s’agit pas d’une population particulière car nous conseillons aux entreprises de faire systématiquement une vérification pour tous les employés. Le taux d’une entreprise qui fait cette prévention baisse de 4 à 5 %. Nous conseillons aux entreprises de publiciser leurs politiques sur les vérifications faites pour éloigner les candidats douteux. 3- Quelles sont les organisations les plus ciblées par les fraudeurs ? Les secteurs les plus sujets aux vols sont le commerce de détail, les centres d’appels et de télémarketing (fraude sur les cartes de crédit), les entreprises hautement spécialisées (vente d’information). La criminalité s’oriente vers le renseignement, l’information est extrêmement monnayable (vols d’ordinateurs). Les gangs de rue essaient d’infiltrer des entreprises de commerce de détail. Ce fut le cas dernièrement pour des stations services où des fraudes étaient commises sur les cartes bancaires. Ces gangs s’effacent très vite à mesure que les médias publient l’information, ils s’en prennent alors à d’autres entreprises. Il est très important de vérifier les diplômes des candidats. Plus un poste est important, plus le risque de mensonges sur la formation est élevé. Certains cas sont parus dans les journaux, l’université de Sherbrooke a engagé un professeur sans vérifier ses diplômes, cette personne avait enseigné quelques années sans les qualifications annoncées mais son niveau d’anglais l’avait démasqué (il était supposé avoir obtenu des diplômes aux Etats-Unis…). Autre exemple, la commission des valeurs mobilières a démis un enquêteur de ses fonctions car les diplômes annoncés étaient inexacts. Ces exemples ne sont que la partie visible de l’iceberg. Plus un poste est important, plus il y a de risques d’améliorations au niveau des CV. Si ces faits sont portés à la connaissance du public, c’est la réputation de l’entreprise qui est touchée. Une étude américaine montrait que 44 % de 2,6 millions d'employés vérifiés avaient menti sur leur CV. Pour 41%, c’était mineur mais 23 % mentaient sur leur licence professionnelle. Le taux serait plus bas au Québec, on parle de 25%. Ce phénomène est peut être plus commun aux Etats-Unis car il est difficile de vérifier des informations d’un état à l’autre. 4- La vérification et la Loi ? Tout ce que nous faisons se trouve dans le cadre de la loi, de façon transparente. Si on s’en écarte, c’est la réputation de notre entreprise cliente qui risque d’être touchée. Certaines sources d’informations sont publiques et accessibles sans autorisation. D’autres données demandent un consentement précis de la part du candidat, un dossier de crédit par exemple. D’autres renseignements seront donnés par les entreprises selon leur politique interne et requièrent ou non un consentement (il ne s’agit pas ici de loi mais bien de politique interne). La plupart des écoles et universités demandent un consentement par contre, les ordres professionnels ne l’exigent pas. Il faut faire attention aux mots, ce qui est public et accessible, ce sont les dossiers de Cour, tout le monde peut assister aux procès. Les dossiers criminels et casier judiciaire ne sont pas accessibles au public car ce sont des outils de travail pour la police, un consentement très spécifique et très détaillé permet leur accès. Partout au Canada, les dossiers de la Cour sont consultables. Dans certains secteurs très particuliers comme la défense, les personnes ayant accès à des renseignements et des biens de nature très délicate font l’objet d’une enquête de sécurité (casier judiciaire et même prise d’empreintes digitales). La raison de la vérification et le degré de vérification varient en fonction du poste à combler et de l’accessibilité que la personne va avoir à l’information. Les résultats des vérifications sont transmis à notre client qui doit les utiliser dans le cadre de la loi et de la charte des droits et libertés de la personne. 5- N’y a t-il pas une certaine hypocrisie à demander le consentement d’un candidat lorsqu'un refus de sa part risque de couper cours au processus de recrutement ? C’est une question d’honnêteté et de transparence. Cela peut donner au candidat l’occasion d’expliquer certains points. Pour exemple, un candidat avait été accusé de possession de marijuana lorsqu’il était étudiant. L’employeur était au courant et a décidé d’engager ce professionnel, il a pris une décision éclairée sur son candidat. Cela permet aussi à l’employeur de se justifier si l’information est divulguée, il peut dire « nous le savions et nous l’avons engagé en connaissance de cause ». Un autre exemple, un pilote d’Air Transat avait été engagé alors qu’il avait un dossier criminel, cette personne avait payé sa peine. Lorsque cette affaire est sortie dans la presse, la population s’est retournée contre les journalistes car il s’en était sorti et s’était réinséré, c’était d’ailleurs un excellent pilote. Une personne qui a été challengée par la vie en sort bien souvent plus forte. Les services de ressources humaines sont capables de faire la différence entre un professionnel du crime et une personne qui a commis une faute pour laquelle elle s’est rachetée. 6- Est-ce que la PME fait appel à vos services ? Oui mais c’est principalement le domaine de la grande entreprise. 7- Quel est le coût de la non vérification ? Le coût à ne pas faire de prévention et de vérification pré-emploi est énorme, cela va de la perte d’un client à la perte de sa réputation. Par exemple, un employeur qui faisait de l’exportation aux Etats-Unis avait envoyé une équipe à son client. Un employé avait un casier judiciaire et l’équipe au complet fut retenue à la frontière. Cette entreprise aurait pu perdre le contrat avec son client américain. Depuis le 11 septembre 2001, il existe une certaine paranoïa des entreprises américaines, elles exigent que tous les employés de leurs fournisseurs canadiens aient été vérifiés, un document signé doit leur être fourni. Une entreprise qui ne connaît pas bien les antécédents de ses employés peut faire l’objet de poursuites de ses clients et peut perdre sa réputation. C’est un coût énorme alors que le coût de la prévention est minime. 8- Quel est le meilleur moment dans un recrutement pour faire une vérification ? Dépendamment des postes, elle peut se faire sur le finaliste ou sur les 3 favoris pour des positions de cadres. Pour une entreprise engageant beaucoup de personnel, la vérification peut se faire au départ et être un élément de sélection des candidats (par exemple, la vérification du permis de conduire pour un chauffeur). 9- Existe-t-il des informations que les employeurs aimeraient avoir et que l’on ne peut pas légalement obtenir ? Oui, et c’est l’autre extrême, nous les avisons alors que l’obtention est illégale. Bien souvent dans ces cas, l’employeur n’est pas au courant des zones où il n’est pas permis d’aller (comme savoir si une personne a obtenu un pardon ou prendre connaissance de son dossier médical). 10- Des candidats demandent-ils des vérifications ? C’est très rare et comme ce sont les entreprises qui représentent notre créneau, nous ne pouvons accepter ces mandats sans risquer de se placer en conflit d’intérêts. 11- Comment se passent les vérifications pré-emploi à l’étranger, est-il facile d’obtenir des informations ? C’est possible partout dans le monde excepté dans certains pays extrêmes où aucuns registres n’existent. Aux Etats-Unis, l’information s’organise. En France, c’est difficile, on ne peut pas obtenir un dossier criminel, même avec un consentement. Pour ces mandats, on vérifie la réputation des individus. Il y a une évolution rapide des informations transmises, par exemple, les cas de pédophilie restaient confidentiels, aujourd’hui cette information n’est plus secrète et elle est rendue publique afin de protéger la population. 12- Que vouliez-vous faire quand vous étiez petit ? Jean Talbot : « je voulais être prêtre ou docteur, finalement, je suis comptable de formation ». Yves Lefebvre : « pour moi, c’était policier ou pompier, à cette époque il y avait des exigences physiques que je ne rencontrait pas, il me manquait un pouce ».

Articles récents par
Commentaires

Réseau d'emplois Jobs.ca