Les plans de relève sont-ils des chefs-d’œuvre d’Art abstrait ?

 

Les plans de relève ou plans de succession ne sont pas fait pour rester dans des classeurs que l’on sort une fois l’an lors du comité de ressources humaines du Conseil d’administration. Si la plupart des entreprises ont un plan de relève, toutes n’ont pas en mains le vrai portrait de la situation. Il y a une grande nuance entre un plan d’urgence pour remplacer de manière intérimaire un CEO ou un exécutif et un plan de succession qui s’inscrit dans la durée et fait partie intégrante de la culture de développement du leadership de l’organisation.

Voici les faits :

  • Un CEO ou un cadre supérieur se fait rarement écraser par un autobus. Certes, certaines tragédies arrivent mais elles sont plutôt exceptionnelles. Si le plan d’urgence est nécessaire, il ne peut se substituer à l’exercice de succession.
  • Une fois sur deux, un CEO ou un cadre supérieur qui annonce son départ est généralement remplacé par un candidat de l’externe malgré le plan de relève existant.
  • Selon une étude US/Canada de 2010 de Heidrick&Struggles (http://rockcenter.law.stanford.edu/wp-content/uploads/2010/06/CEO-Survey-Brochure-Final2.pdf)  :
  • 39% des entreprises admettent qu’elles n’ont aucune relève en interne.
  • Les Conseils d’administration passent en moyenne 2 heures par année sur la question de la relève du CEO
  • Seulement 50% des entreprises ont un descriptif des compétences et du profil recherché pour le prochain CEO (CQFD : si on passe seulement 2 heures sur le sujet au C.A…..).

Sur les 1000 plus grandes entreprises en 2008 aux États-Unis, seulement 55% des nouveaux CEO qui avaient été nommés provenaient de l’interne. On est encore dans les mêmes paramètres aujourd’hui. On peut donc admettre qu’une fois sur deux le plan de relève a échoué. Pourtant, selon une étude récente de PWC, 85% des CEOs estiment avoir un plan de succession efficace en place avec de multiples successeurs identifiés et 62% ont des programmes de développement du leadership en place et 38% ont même des programmes de mentorat pour leurs exécutifs. Il semble même que pour 63% des CEOs Canadiens, la disponibilité des compétences et des talents sur le marché est une de leur grande préoccupation et représente une menace au plan d’affaires.

La réalité est pourtant toute autre. Derrière, les vœux pieux et les bonnes intentions, il y a des individus. Voilà le problème. Les changements arrivent toujours en période de crise. Un plan de relève se bâtit en amont et bien avant qu’une crise se pointe le bout de nez. Quel administrateur de sociétés, quel vice-président ressources humaines osera amener l’enjeu relève sur la table alors que le CEO et l’équipe de direction en place font des miracles, que l’action est à son pic historique et que l’on se prépare à rafler les parts de marchés et faire quelques acquisitions au passage ? Personne. Absolument personne. Parce qu’il ya bien d’autres priorités et qu’en plus, on ne veut pas contrarier un CEO qui livre la marchandise au risque de le déstabiliser. Bref, si le développement des talents et du leadership n’est pas assez ancré dans la culture de l’organisation pour y être intégré dans le plan de relève, aucune chance qu’il n’y ait de relève en interne (en fait 50% seulement).

ScreenHunter_09-Feb-11-15-29.jpgA bien y penser, il est évident que de nombreux cadres de la haute direction et CEO ne sont pas très enclin à recruter des talents qui pourraient leurs faire de l’ombre ou se révéler être leur relève à court terme. Cela prend un sacré leadership et une totale confiance en soit pour accepter de recruter un potentiel successeur à court terme… pas le jeune potentiel successeur dans 10 ans… Les processus de développement du leadership ont parfois ce travers ou cette tendance à vouloir prévoir et planifier la carrière plutôt que développer les talents de futurs leaders. Trop centrés sur l’acquisition de connaissances et de compétences, les compétences managériales,  sens politique et leadership sont plus difficilement intégrés dans ces fameux plans de développement. Pourquoi ? Parce que pour développer le leadership, le sens politique et l’influence, il faut les mettre en pratique dans un rôle qui exige que l’on s’en serve. Retour à la case départ. Il faudrait que l’organisation prenne un risque en nommant un futur-leader-en-développement dans un rôle qu’il n’a jamais occupé. Pire, il faudrait que l’entreprise accepte qu’il puisse échouer (ce qui entre nous serait même souhaitable pour qu’il puisse apprendre de ses erreurs et ne plus jamais recommencer). Quelle organisation peut-elle se permettre de manquer une cible financière, de perdre une transaction, une acquisition dans un objectif de formation de son futur CEO ? Aucune. Absolument aucune.

Jack Welch (voir une de ses entrevues à ce sujet http://youtu.be/ybwxH5W3r7c ) a possiblement mis en place le meilleur plan de succession qui soit pour arriver à nommer Jeffrey R. Immelt. Six années de travail assidu en continu pour nommer le successeur du géant de General Electric. Toutes ces années ont été consacrées à connaître intimement les candidats potentiels à la succession de J. Welch. Les connaître sur le plan personnel (leur famille, leur situation, leur style, leur personnalité) et professionnel dans de multiples situations (gestion de crises compris).

J’ai souvent en tête cette citation de Sir Winston Churchill : « Que la stratégie soit belle est un fait, mais n’oubliez pas le résultat ». Si les processus et les mécanismes ressources humaines sont, sur papier, absolument magnifiques et semblent fonctionner à merveille, il appert que dans la vraie vie, ces mêmes mécanismes relèvent de l’Art abstrait. Trop sophistiqués, compliqués et difficilement applicables, ils sont finalement soit contournés soit relégués au statut d’œuvre d’art au fond d’un classeur du Conseil d’administration. Ce que les plans de relève devraient prioriser c’est la connaissance des individus. Les mettre en situation, les écouter, les observer et les analyser pour mieux les guider et les préparer. Les membres du Conseil devraient être intégrés dans ce processus et un comité spécial devrait être formé pour se pencher sur l’identification, la connaissance des individus et leur préparation. Sachant qu’à la fin, il n’y aura qu’un seul gagnant il faut aussi être prêt aussi à gérer les attentes. Cela prend du courage.

Un plan de relève est certainement l’exercice le plus sensible et stratégique qui va au-delà des organigrammes prévisionnels et des séminaires de coaching et de développement qui mérite toute l’attention et la mobilisation de la haute direction comme de ses administrateurs.

Illustration Musee d'art contemporain de Montreal by Isa Tousigna

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