Les tests psychométriques sur Internet

Dossier : Quel crédit doit-on accorder aux tests psychométriques sur Internet ?Par Anne-Marie Courtemanche

«Les vrais tests psychométriques ne peuvent pas être proposés sur Internet, car ils perdraient aussitôt leur valeur d'instrument de mesure, basée notamment sur un étalonnage sérieux, sur des conditions de passation rigoureuses, et sur le fait que la personne testée doit ignorer préalablement les bonnes réponses, toutes choses impossibles à garantir sur Internet!» Voilà ce que croit la société Mensa France. Un énoncé de départ qui donne le ton. Nous avons donné la parole à des psychologues industriels et à des concepteurs de ces tests afin de dévoiler les deux côtés de la médaille. De toutes les méthodes permettant d’évaluer un candidat à l’emploi, les tests psychométriques sont parmi les plus utilisées au Québec et leur popularité est en croissance. Internet regorge de centaines de tests de toutes sortes, abordant souvent le profil professionnel, les compétences, les intérêts, l’activité intellectuelle générale du candidat ou encore certaines qualités particulières — le raisonnement, la richesse verbale, l’aptitude à la formation de concepts, la visualisation spatiale, les aptitudes numériques, la mémoire, la créativité, etc. Ils prétendent nous aider à orienter notre carrière, à trouver un emploi plus satisfaisant, qui se moule mieux à notre personnalité. Mais aucun ne s’attribue pour autant le qualificatif de «scientifique». Les tests et les psychologues industriels «Une des spécificités de la psychologie industrielle est l’utilisation des tests psychométriques les plus valides possibles, normalisés en fonction de ceux qu’on évalue, dans un processus qui comprend une entrevue en profondeur pour corroborer et raffiner les résultats du test», explique Lise Marion. Mme Marion est psychologue industrielle chez Melanson Girard Maletto et Associés. Selon elle, «Internet offre sans contredit des possibilités intéressantes pour ceux qui souhaitent se prêter à des tests de type introspectif. Mais pas pour le recrutement», précise-t-elle. Ne mettant nullement en doute la validité de ces tests, Lise Marion considère que c’est leur utilisation qui s’avère douteuse. «Comment, dans un processus de recrutement, peut-on s’assurer que la personne qui a rempli le questionnaire sur Internet est bien la personne qu’elle affirme être? Comment savoir qui est la personne devant l’écran? Si je postule pour un emploi et que je sais pertinemment que les qualifications de gestionnaire et la personnalité de mon mari seront préférées, qui saura si je lui fais remplir le questionnaire du test psychométrique à ma place? Je suis sur Internet, personne ne me voit!» La psychologie industrielle préconise l’aspect humain et la rencontre en vis à vis plutôt que le test en ligne. «Non seulement nous sommes formés pour évaluer, comprendre et transmettre les résultats de tels tests, mais nous avons aussi des échelles qui permettent de déterminer si une personne fournit des réponses pour tenter de se conformer ou si elle ment carrément pour nous faire voir une facette de sa personnalité qu’elle n’a pas réellement», précise Mme Marion. «Un logiciel ne peut pousser son analyse de résultats jusqu’à ce point.» Pour Lise Marion qui enseigne la psychologie du travail à l’UQAM, la rencontre en face à face est tellement essentielle qu’elle prendra même l’avion pour se rendre chez un client et rencontrer des candidats. «Certains clients aimeraient avoir cette possibilité de faire passer des tests par Internet. Parce que nous accordons une importance de premier ordre à la rencontre avec le candidat, nous n’hésiterons pas à nous déplacer à l’autre bout du pays pour pouvoir obtenir cette rencontre primordiale.» Et même si elle a déjà envisagé l’utilisation de caméras pour pouvoir tirer parti des avantages qu’offre Internet pour les clients et les candidats plus éloignés, Lise Marion demeure convaincue qu’aucun ordinateur ne peut remplacer l’expérience et la formation qui permettent à un humain d’en évaluer un autre. «Les résultats d’une machine sont beaucoup plus simples que ceux d’un humain», explique Lise Marion. «J’attends encore le jour où on pourra me démontrer que l’intelligence artificielle d’un ordinateur peut rivaliser avec l’intelligence naturelle, l’expérience et les connaissances de l’humain.» Les tests et la charte La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse affirmait d’ailleurs dans un document de recherche intitulé «Les tests psychologiques et psychométriques en emploi», dès 1998, que ces tests pouvaient porter atteinte à des droits reconnus par la Charte des droits et libertés de la personne lorsqu’ils comportent des questions personnelles qui sont généralement du domaine de la vie privée. L’organisme gouvernemental québécois précisait également «Nous croyons que lorsqu’un employeur souhaite avoir recours à un test psychologique dans son milieu de travail, il devrait avoir recours aux services d’un professionnel compétent en la matière. En effet, qu’il s’agisse d’un psychologue ou d’un conseiller d’orientation, ces professionnels, outre le fait qu’ils sont les mieux placés pour conseiller l’employeur dans un tel domaine, se doivent de respecter des règles déontologiques qui devraient limiter les risques d’une mauvaise utilisation des tests et une mauvaise interprétation de ceux-ci.» Les tests et leurs concepteursJobboom et Monster.ca, parmi bien d’autres sites d’emploi grand public, proposent des tests qui ont pour seul objectif d’aider un candidat à orienter sa réflexion lors d’une recherche d’emploi ou d’un changement de carrière. Ils ne sont donc pas utilisés en recrutement et n’ont aucune prétention. Maieutik Également, d’autres tests ont été développés par des entreprises qui les placent entre les mains de professionnels du domaine du recrutement, par l’entremise d’Internet. C’est le cas, entre autres, des outils Maieutik de gestion des compétences dont le développement a débuté en 1995 et dont la mise en marché a commencé il y a un peu plus de cinq ans. Ces outils ont pour support Internet mais les résultats des tests que les candidats subissent sont toujours donnés par des partenaires formés par Maieutik. Jean-Guy Raymond, le concepteur de ces outils, considère que les questions de ses outils sont difficiles à déjouer puisqu’elles font appel principalement à l’inconscient de l’individu. «C’est presque impossible de tenter de se conformer ou de mentir pour atteindre un but lorsqu’on ne peut déterminer dans quel but une question est posée», explique M. Raymond. «Si je vous demande, par exemple : – Vous habitez au centre-ville, c’est pour éviter les embouteillages et aller travailler à pied ou pour profiter de l’effervescence du centre-ville. Comment pouvez-vous savoir ce que l’une ou l’autre réponse vous attribuera comme force, comme compétence?» M. Raymond considère donc avoir développé des outils complètement automatisés qui commencent non seulement à intégrer l’intelligence artificielle mais qui permettent de gérer les compétences plutôt que de catégoriser les gens et dire qu’ils sont bons ou pas. Des outils en constante évolution afin de répondre aux besoins changeants du marché. ProfileSoft Il y a 20 ans, Yvan Marcel Boily décidait de mettre en pratique sa thèse de doctorat, plutôt que de la laisser sur les tablettes. «Nous sommes aujourd’hui bien loin de ma thèse, et heureusement! Au fil des ans, une centaine de spécialistes ont contribué au développement des outils que nous proposons autant aux recruteurs qu’aux entreprises et aux individus. Lorsque l’on affirme que l’humain est essentiel au processus de recrutement – et pas seulement le candidat – M. Boily ne peut être plus d’accord. «Pour entrer en contact avec un humain, il faut un humain. Et avec des outils informatiques bien programmés, dans un processus de recrutement, il faut un individu qui s’auto-évalue et un autre qui le rencontre.» M. Boily n’aime pas parler de tests mais bien de questionnaires profils. De la soixantaine d’outils développés par ProfileSoft, onze sont disponibles par l’entremise d’Internet. «Ce ne sont pas des tests car il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses.» ProfileSoft a identifié trois composantes nécessaires à la performance : ce que la personne est (comportements clés, automatismes / réflexes, valeurs intrinsèques, personnalité), ce qu’elle a (niveau de connaissance, expériences de travail, habiletés maîtrisées, mentales, verbales) et l’environnement où elle est (organisationnel – structure, équipe, méthodes, personnel – bien-être, santé, etc.) «En d’autres mots, on embauche en se basant sur ce que la personne a et on congédie à cause de ce que la personne est. Pour éviter cela, il faut donc trouver le bon environnement en fonction de ce que la personne a et de ce qu’elle est.» Conscient qu’Internet propose autant des quiz que des questionnaires plus sérieux, M. Boily demeure convaincu que le système ProfileSoft ne peut être déjoué. «D’abord, si la personne qui répond au questionnaire n’est pas celle qui a postulé pour le poste, l’employeur le saura immédiatement en entrevue puisque nous lui fournissons un guide d’entrevue qui permet de le déceler.» Quant au fait que les résultats sont fournis par le système plutôt que par un professionnel du recrutement, M. Boily croit que c’est un avantage. «Les résultats produits par notre système sont objectifs alors qu’un psychologue industriel ou un autre professionnel doit interpréter, traduire. Ce sont donc des données subjectives.» «Le plus important à retenir est qu’un questionnaire profil ou un test, quel qu’il soit, ne peut être l’élément décisionnel dans l’embauche d’une personne. Le questionnaire fait partie d’un processus qui comprend une entrevue et compte selon moi pour environ 1/3. Un autre tiers devrait être accordé aux compétences et le dernier tiers à la culture d’entreprise. Mais on ne peut nier les avantages de solutions électroniques comme les nôtres qui permettent aux entreprises non seulement de réaliser des économies appréciables mais aussi de réduire le temps nécessaire à l’embauche d’un employé», conclut M. Yvan-Marcel Boily.

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