Entrevue : Rémi Tremblay

Entrevue :

Rémi Tremblay, ex-président d’Adecco Canada. Depuis que Rémi Tremblay a quitté ses fonctions chez Adecco en novembre dernier, il se sent libre. Libre de dire ce qu’il pense, de ne rendre de compte à personne et d’organiser son temps comme il l’entend… Mais M. Tremblay ne chôme pas pour autant. Quand «La Toile des Recruteurs» l’a rencontré, il avait un emploi du temps particulièrement chargé. C’est qu’il se consacre désormais à aider les dirigeants d’entreprise qui se cherchent à se redécouvrir et à retrouver confiance en eux.

Qu'est-ce que cela vous fait d'être à votre compte après tant d'années passées au service d'Adecco?
Ce n’est pas très différent de ce que j’ai vécu pendant les 10-12 premières années passées au service d’Adecco. Lorsque j’ai lancé cette entreprise au Canada, mon patron était à Paris et l’on ne se voyait qu’une fois par an. J’ai créé ma propre société et j’avais vraiment l’impression d’être mon propre patron… Chez les salariés d’Adecco, il n’y avait pas de désir d’homogénéité mais plutôt une grande cohérence de valeurs. Aujourd’hui, après plusieurs fusions et acquisitions, Adecco est devenue une grosse entreprise qui veut tout centraliser, tout contrôler et qui estime que la confiance et l’efficacité passent par l’homogénéité. Et selon moi, l’homogénéité c’est le conformisme et le conformisme c’est la disparition. Je pense que c’est le début de la fin des grandes organisations qui désirent l’homogénéité. Selon moi, il faut opter pour la cohérence car il est essentiel que l’organisation ait une identité, une vision et des valeurs partagées. Au cours des dernières années chez Adecco, mes patrons me demandaient de me conformer. J’ai longtemps résisté, j’étais un peu la muraille autour de l’entreprise, mais cette muraille a fini par céder. J’ai alors réalisé que je devais partir. L’entreprise n’avait plus besoin de moi, elle avait besoin d’un autre type de leader, d’un gestionnaire. J’ai donc formé quelqu’un qui est un très bon gestionnaire, qui sait se conformer et qui demande à son personnel de se conformer. Cette personne cadre parfaitement avec ce qu’Adecco souhaite devenir. Adecco Canada va perdre son identité mais en trouvera une autre qui s’apparente davantage à celle d’Adecco Etats-Unis.

Regrettez-vous votre décision?
Après ma démission, j’ai eu un peu le vertige de devoir repartir de zéro. Aujourd’hui je suis très heureux d’être parti, j’ai l’impression de me retrouver du temps des débuts d’Adecco Canada. C’est un retour aux sources. Je n’ai pas vraiment eu le temps de me retourner, car dès que j’ai quitté Adecco, je me suis tout de suite lancé, avec trois autres personnes, dans une entreprise qui s’appelle «Esse Leadership» («Esse» veut dire être en latin). Et maintenant que je suis à mon compte, je m’éclate, je réalise à quel point c’est bon d’être libre! C’est le bonheur total.

Qu’est-ce qu’«Esse Leadership»?
«Esse Leadership» est une entreprise de consultants. Nous n’avons pas encore officiellement annoncé sa venue au monde. Nous n’avons ni carte d’affaire, ni plan d’action. Nous savons simplement qu’«Esse» sera notre héros à tous. Car chaque personne qui arrive à être elle-même est «Esse». «Esse» n’est ni une femme, ni un homme mais une personne qui est elle-même. Mais nous n’avons fait aucune campagne de publicité. Nous voguons encore sur la vague des «Fous du roi». Nous sommes sans cesse sollicités à droite et à gauche et nous donnons beaucoup de conférences.

Quel genre de conférences donnez-vous?
Après la parution du livre «Les fous du roi», j’ai été très sollicité pour donner des conférences sur l’éthique. Mais pour moi, l’éthique reste quelque chose de très théorique …. Finalement, j’ai décidé de parler de l’éthique et de soi. Si je résumais l’éthique aujourd’hui, je dirais qu'il faut mettre plus d’amour dans les gestes qu’on pose, porter une plus grande attention à l’autre, ainsi qu’à soi-même. Il faut arrêter de voir l’éthique comme une politique d’entreprise (ex : il ne faut pas accepter les pots de vins).

Qui sont vos partenaires? Que font-ils?
Mes trois collaborateurs sont Serge Marquis, un médecin qui dédie maintenant sa vie à la santé mentale dans les entreprises, où il donne beaucoup de conférences sur le stress; François Héon, docteur en psychologie et qui était le patron de la Maison des leaders d’Adecco et Liliane Auger, qui dirigeait le Caféboulot, une autre filiale d’Adecco. Ce qui est amusant, c’est que je ne leur ai pas demandé de quitter Adecco et de venir avec moi. Cela s’est fait naturellement. Notre bureau est situé juste en face du Parlement à Québec et dans quelques semaines, nous ouvrons une annexe au Gesu, à Montréal.

Qui fait appel à vous et pourquoi ?
Les organisations qui font appel à nous souhaitent que nous les aidions à retrouver leur identité car après avoir fusionné une ou plusieurs fois avec d'autres entreprises, elles ont l’impression de l’avoir perdue. Elles nous demandent également que nous rétablissions le dialogue avec leurs salariés. Les leaders qui nous contactent veulent que nous les aidions à être ce qu’ils sont. Aujourd’hui de nombreux leaders se sentent inadéquats au sein de leur organisation. Entre les demandes des actionnaires, des patrons et des employés, les leaders ne savent plus où donner de la tête. Ils sont parfaitement conscients qu’ils doivent agir sur le long terme mais les actionnaires et les patrons ne s’intéressent qu’aux résultats à court terme. Il leur est difficile de satisfaire tout le monde.

Que proposez-vous comme solutions aux gens qui viennent vous consulter?
Nous essayons de conjuguer le verbe être avec nos clients. Nous aidons les leaders à devenir les leaders qu’ils sont plutôt que ceux qu’on leur demande de devenir. Nous travaillons beaucoup sur la découverte de soi et le fait d’assumer ce que l’on est. Nous aidons les gens et les organisations à se définir en tant qu’êtres humains et en tant que «nous». J’explore avec les leaders et les conseils d’administration d’entreprise le management à travers l’art, la spiritualité et la philosophie. La grande problématique de la détresse c’est qu’en Occident, les gens refusent de perdre. Et à ne pas vouloir perdre, on se perd. Je conseille aux gens de dire non à leurs patrons, à leurs clients, quitte à laisser échapper une promotion.

Que pensez-vous de la loi sur le harcèlement psychologique au travail votée en juin dernier au Québec? Et de la loi Sarbanes Oxley?
Selon moi, c’est bien triste que le gouvernement ait été contraint d’adopter de telles lois. La loi Sarbanes Oxley répond à l’insécurité par le contrôle. Or, le contrôle crée encore plus d'insécurité. Sans oublier que le contrôle tue la confiance. Une telle loi envoie un message de méfiance. Or, la méfiance engendre la méfiance. Cette loi-là ne résoud en rien le problème, au contraire, elle l’accentue. Avec la loi Sarbanes Oxley, on a signé l’arrêt de mort des grandes entreprises. Pour la première fois, une loi dicte que l’entreprise existe pour satisfaire l’actionnaire et on met en place des contrôles pour le protéger. Personnellement, concernant la disparition des grandes entreprises, je trouve la nouvelle plutôt réjouissante car les entreprises qui ne sont pas de taille humaine ne peuvent être gérées par des êtres humains. Quant à la loi sur le harcèlement, je pense que le gouvernement aurait dû investir dans la prévention contre le harcèlement plutôt que de voter une loi. Comment se fait-il qu’un leader en arrive à harceler quelqu’un? Selon moi, c’est un message d’une grande détresse.

Qui a le pouvoir de faire changer les choses?
Tout le monde a le pouvoir de changer les choses. Quand je vais chez Wal-Mart, c'est pour acheter moins cher. Le président de Wal-Mart exploite ses salariés pour pouvoir pratiquer sa politique des bas coûts et ainsi répondre à mes attentes. Si j’arrête d’aller chez Wal-Mart, tout s’arrête. Nous sommes tous victimes et bourreaux. Nous sommes tous fous et rois. Il faut savoir prendre conscience du rôle que l’on joue dans la société et ne pas en abuser. Nous sommes victimes de la société que nous nous créons.

Sentez-vous qu’il y a une prise de conscience collective et constatez-vous des changements qui permettent d’espérer pour l’avenir?
Oui, je sens que les choses sont en train de changer. Il y a sept ans, j'avais donné une entrevue au journal «Les Affaires» où j'exposais la notion de bonheur au travail. Je disais, grosso modo, que le niveau de bonheur dicte le niveau de profits. On m’avait alors pris pour un hurluberlu. Et pas plus tard que la semaine dernière, j’ai donné une conférence sur l’amour au travail. Je parlais d’amour à des gestionnaires, une chose impensable il y a encore sept ans! Un autre exemple d’évolution positive est l’organisation de concours des meilleurs employeurs au Québec. De plus en plus d'employeurs participent à ce type de concours pour toutes sortes de raisons. Ce qui permet d’espérer que les choses iront en s’améliorant dans les entreprises. Esse Leadership (418)264-0478

Articles récents par
Commentaires

Réseau d'emplois Jobs.ca