Les immigrants professionnels : un apport à valoriser

« Le Québec accueille des immigrants en grande partie parce que leurs qualifications sont recherchées par les entreprises québécoises. Il importe donc de s’assurer que ces compétences soient reconnues à leur juste valeur ». Voilà ce que rappelait Johanne Bourassa, directrice des mesures d’emploi et des services aux individus à Emploi Québec, lors du colloque Marché du travail, professions réglementées et diversité culturelle : mode d’emploi, tenu en avril sous l’égide de l’organisme communautaire Québec Multi-plus, un service de consultants en relations interculturelles.

Le Québec affronte une pénurie de main-d’œuvre qui ne fait que commencer. Pourtant, plusieurs professionnels subissent un refus de reconnaissance de leur formation et de leur expérience par les corporations professionnelles. Ainsi en est-il de l’urgentologue français Philippe Rohé, qui a la possibilité de pratiquer partout au Canada, sauf au Québec. Il fait la navette d’Outremont au Nouveau-Brunswick à toutes les deux semaines pour exercer sa profession. Le site immigrer-contact mentionne plusieurs cas de refus qui semblent plutôt étonnants. Un autre professionnel est devenu livreur de journaux au Québec après avoir pratiqué la médecine pendant douze ans en France. « Il faudrait pratiquement que je reprenne mes études », dénonçait Olivier Legrand au Journal de Montréal en octobre dernier. Directrice de Québec Multi-plus, Ana Luisa Iturriga rappelait les enjeux de l’apport de sang neuf pour la population québécoise : « Le trou causé par les départs à la retraite accéléré a déjà des conséquences désastreuses dans certains secteurs, comme celui des soins infirmiers où on a constaté dépressions, burn-out et fatigue professionnelle en série. »

La société québécoise n’a plus le choix de relever le défi de l’intégration. « Il appartient aux immigrants eux-mêmes, aux institutions scolaires, aux employeurs, aux corporations professionnelles et à l’État. Tous ont un rôle à jouer », souligne la directrice. Cette prise de conscience donne des résultats concrets depuis quelques années. L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec a produit en juillet 2003 un document de formation pour faciliter la préparation des candidats étrangers à l’examen professionnel. Avec la collaboration du Collège des médecins, le Centre d’évaluation des sciences de la santé de l’Université Laval a offert à Montréal deux ateliers préparatoires à la partie orale et clinique de l’examen des sciences cliniques du Collège des médecins. Pour l’examen tenu en août 2003, le taux de réussite des médecins étrangers qui ont participé aux ateliers fut de 52,5%, comparativement à 30,2% pour ceux qui ne l’ont pas suivi.

Un système de tutorat instauré en 2000 en concertation entre des organismes communautaires, le gouvernement québécois et l’Ordre des ingénieurs du Québec a fait grimper le taux de réussite aux examens de l’OIQ de 60 à 80%. La bureaucratie Plusieurs immigrants reprochent la lourdeur du processus de reconnaissance des acquis. « La démarche est longue et coûteuse », souligne Nadine Lavoie, coordonnatrice au programme d’immersion chez Accueil Liaison pour arrivants (ALPA). Le gouvernement québécois créait dès 1971 le Service des équivalences d’études. Cet outil vise à aider les immigrants à faire valoir leurs diplômes étrangers auprès des employeurs. « L’Évaluation comparative des études effectuées hors du Québec ne constitue pas une reconnaissance officielle des acquis d’une personne », prévient toutefois Jacques Robert, directeur des politiques et programmes d’intégration au ministère des Relations avec les citoyens et de l’immigration.

Grandement remanié en 2000, le document compare le système scolaire québécois à celui d’autres pays. Il informe sur les conditions d’admission aux programmes d’études, la durée des études, le domaine de formation et l’ordre d’enseignement auquel appartiennent ces études dans le système scolaire où elles sont effectuées. On y compte maintenant 12 000 évaluations comparatives, deux fois plus qu’en 1999. Cet outil est toutefois davantage conçu pour les employeurs que pour les ordres professionnels. « Il répond au besoin des employeurs qui veulent vérifier l’équivalence d’un niveau de formation. Les ordres professionnels ont besoin d’outils plus élaborés pour vérifier l’équivalence du contenu de la formation », note Jacques Robert.

Sur les quelques 40 000 personnes qui immigrent chaque année au Québec, 1 500 présentent une demande d’intégration à un ordre professionnel. De ce nombre, la moitié est acceptée et 20% sont refusés. Environ le tiers doit remplir des exigences particulières avant d’être admis. Il sera alors question de cours et/ou de stages. « Chaque cas est un cas d’espèce », précise André Gariépy, directeur général du Conseil interprofessionnel du Québec. « Pour obtenir une équivalence de formation, la présentation d’un diplôme ne suffit pas. Nous devons vérifier ce que représente ce diplôme. Le candidat doit présenter la liste de cours suivis, leur contenu, le nombre d’heures et les activités d’enseignement. La personne qui n’a pas été avisée par l’agent d’immigration avant son arrivée au Québec pourra trouver le processus très lourd », ajoute-t-il.

André Gariépy en appelle à un meilleur arrimage entre les institutions publiques : « Tout le monde fait du bon travail, mais puisque les institutions ne sont pas assez arrimées pour répondre à leurs besoins, les personnes immigrantes connaissent des déceptions, des lourdeurs et des délais. Le problème ne relève pas des normes des ordres professionnels, mais des outils mis en place pour aider les personnes immigrantes à y répondre. On crée ainsi des drames. » Il estime que les exigences des ordres professionnels ne sont pas extravagantes : « Notre mandat consiste à protéger le public. Nous devons non seulement nous assurer de la qualité des diplômes obtenus à l’extérieur du Québec, mais aussi de leur correspondance aux besoins québécois. Le contexte climatique, géologique, scientifique et déontologique diffère, d’où le besoin de cours d’appoint. »

Des expériences bénéfiques La profession d’infirmière est en cruelle pénurie. Pour y faire face l’Ordre des infirmiers et infirmières du Québec (OIIQ) a organisé six missions de recrutement à l’étranger depuis quatre ans. Il recourt à l’article 41 du Code des professions, qui permet l’octroi de permis temporaire. L’ordre vise à recruter à l’étranger des personnes qui possèdent au moins deux années d’expérience, qui n’ont besoin d’aucun complément de formation outre le stage et qui ont obtenu une assurance d’embauche par un établissement de santé québécois. Les institutions se rendent sur place pour réaliser les entrevues de sélection. L’acquisition du permis d’exercice permanent requiert la réussite du stage et le succès de l’examen de l’OIIQ dans un délai de deux ans à compter de l’arrivée au Québec. En quatre ans, ces missions ont permis le recrutement de 350 personnes. Le taux de rétention est de 50% après deux ans. « Nous visons à recruter 250 infirmières par année », indique Louise Cantin, secrétaire générale de l’OIIQ.

Certaines institutions scolaires soutiennent l’intégration des immigrants aux ordres professionnels. C’est le cas du Cégep du Vieux-Montréal, qui participe au Programme d’intégration à la profession infirmière au Québec. Le Cégep dispense les cours requis pour la mise à niveau des infirmières provenant d’autres pays. La formation de 34 semaines comporte des cours théoriques et des stages. Directrice des services à la clientèle au CHSLD Émilie-Gamelin-Armand-Lavergne, Hélène Larochelle fait part de l’expérience d’encadrement de stagiaires : « L’arrivée des stagiaires dans le milieu de travail les confrontait à des différences autant professionnelles que culturelles. Sur le plan professionnel, donnons seulement comme exemple les termes médicaux, l’appellation de la médication, de politiques ou de procédures, la relation employé/supérieur hiérarchique. Nous nous devions donc d’être plus qu’innovateurs », observe-t-elle.

Après consultation des stagiaires, le centre a mis en place divers outils de soutien ou de tutorat, que ce soit au niveau de l’évaluation ou des conditions de travail. Les stagiaires bénéficiaient d’horaires de travail stables et demeuraient sur la même unité de travail tout au long du stage. « Cette expérience fut très positive pour tous. Elle a permis de nous faire prendre conscience davantage des différences culturelles, de créer des liens professionnels plus étroits et de revoir nos façons de faire », remarque Hélène Larochelle. La vie à l’extérieur des ordres L’adhésion aux ordres professionnels ne constitue pas une voie incontournable. En réalisant une enquête commandée par le Centre local d’emploi de Pointe-Claire, le Centre d’intégration Multi Services de l’Ouest de l’île (CIMOI) fut « surpris en constatant qu’aucune entreprise, aucune parmi 105, n’a même évoqué l’adhésion à un ordre professionnel comme critère d’embauche. Ces entreprises sont loin d’être marginales.

On y retrouvait plusieurs grands noms de l’industrie », souligne Philippe Chevalier, agent de liaison au CIMOI. Symptôme d’une mauvaise perception ou difficulté réelle, « notre étude rend compte que 64% des entreprises déclarent avoir des difficultés d’embauche et citent les ordres professionnels ou les simples cartes de compétences comme engendrant des difficultés supplémentaires », affirme Philippe Chevalier. « Les employeurs demandaient en premier lieu un système fiable de reconnaissance des diplômes et de validation des compétences, des formules de stage et de tutorat financés, de la francisation pragmatique », ajoute-t-il. La protection du public demeure un principe reconnu, avec pour corollaire la vérification des compétences. Ce sont les manières de faire qui restent en débat, notamment dans les outils mis en place pour permettre aux nouveaux arrivants d’adapter leurs compétences au contexte québécois.

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